Le problème de l’identité commence quand on parle de vous. Qui suis-je ? Celui que je crois être, ou celui que l’autre dit que je suis ? Moi qui me regarde, moi à travers le regard de l’autre ? Mais quand je me regarde, puis-je me voir sans un regard extérieur qui s’interpose entre moi et moi ? N’est-ce pas toujours l’autre qui me renvoie à moi ? Les fables de La Fontaine semblent donner cette leçon : le corbeau se découvre naïf et orgueilleux sous le regard du renard ; la cigale frivole et irresponsable aux dires de la fourmi ; le lion pas si puissant que ça devant l’action du rat qui le libère des mailles du filet qui l’emprisonnent. Mais avons-nous toujours besoin de l’autre pour nous connaître ?
Et puis, on n’est pas seul. On vit en société, pour aussi sauvage que l’on soit. Et là, on se retrouve dans des groupes, on se définit à travers eux et en quelque sorte on leur appartient, du moins en partie. Et alors, se pose de nouveau la question : qui suis-je dans le groupe, ou plus exactement, que suis-je dans le groupe, passant de l’état de sujet à celui d’objet ? Si je suis, en partie, ce qu’est le groupe, quel est-il, lui ? Se définit-il en lui-même, ou par opposition à d’autres groupes ?
C’est la grande question de l’identité, en général, et de l’identité culturelle en particulier qui est posée et que je voudrais développer ici, devant vous, sous votre regard. D’autant que quand on enseigne une langue étrangère, on sait, même si c’est difficile, que son enseignement est inséparable de l’enseignement de la culture du pays qui s’y attache.
Dans le titre de ma communication, il y a : “le grand malentendu”. Pourquoi y a-t-il malentendu sur cette question de l’identité culturelle ? Parce qu’on entend deux choses à son propos, deux discours qui circulent dans nos sociétés occidentales avec plus ou moins de vigueur selon les circonstances historiques : l’identité culturelle est une affaire de “nature originelle” ; aller à la quête de son identité culturelle, c’est “aller à la quête de soi”. Je voudrais montrer en quoi cela est paradoxal.
J’ai cependant conscience de la difficulté de l’entreprise, car trois dangers nous guettent dès que l’on veut traiter de cette question : celui de la banalité qui nous fait prononcer des phrases du genre “on est tous différents” ; celui de l’idéalisation comme quand on milite pour le “dialogue des cultures”, car qu’est-ce que des cultures qui dialoguent ? les individus dialoguent, mais les cultures ?… ; celui, enfin de la généralisation qui nous entraîne à transformer notre propre expérience en vérité valant pour tous. Moi-même tomberais-je, peut-être, dans l’une de ces trappes. Je me rassure par avance en sachant que dans chacune de ces trappes il y a, malgré tout, une part de vérité.
C’est au 18ème siècle que naît cette idée que la culture est comme une "essence" qui colle aux peuples ; de là que chaque peuple se caractérise par son "génie". Plus rationnel, en France (c’est le siècle des Lumières et le triomphe de la raison sur la barbarie), plus irrationnel en Allemagne (c’est le siècle d’une philosophie anti-scientiste et le triomphe du romantisme).
Au XIXe siècle, cette idée est réactivée, tout en déplaçant le concept de culture du lieu de la connaissance et de l’inspiration qui produisent les grandes œuvres, vers le lieu du comportement des hommes vivant en société : “L’ensemble des habitudes acquises par l’homme en société” (Tylor, 1871). Il n’en demeure pas moins que, si l’on accepte du même coup qu’il y a plusieurs sociétés et donc plusieurs cultures, chaque groupe social est "sa propre culture", dont il a hérité, contre laquelle il ne peut rien (fatalité), qui le surdétermine, et à laquelle il colle de façon "substantielle". C’est l’époque de la délimitation des territoires, de l’homogénéisation des communautés à l’intérieur de ceux-ci, bref de la constitution des états-nations : “un peuple, une langue, une nation”. C’est au nom de cette conception de l’identité culturelle comme "essence nationale" que se feront les guerres du siècle suivant.
Cependant, il est curieux de constater que c’est à cette même époque que l’on reconnaît que cette identité puisse perdre sa pureté originelle. C’est que devant les grands mouvements migratoires qui entraînent des déplacements et des mélangent de populations, force est de constater que certaines de celles-ci perdent leur culture d’origine et s’approprient en partie une nouvelle culture. D’où des processus d’acculturation qui conduisent à penser la culture selon ce que l’on appelle alors un “relativisme ontologique”, et justifient du même coup que l’on parte à la recherche de sa culture originelle.
C’est à partir de ce dernier constat que le XXe siècle ira jusqu’à déclarer que la culture ne préexiste pas aux individus, que ce sont eux qui vivant en groupes créent un “enracinement social” (E. Durkheim et M. Mauss), constituent, aux termes d’échanges sociaux et de la régulation des rapports de force qui s’instaurent dans le groupe (l’interactionnisme symbolique de l’école de Chicago) des structures qui à la fois le caractérisent en propre et permettent qu’existent plusieurs variantes (C. Lévy Strauss). D’où l’idée que l’identité culturelle est à la fois stable et mouvante, pouvant évoluer dans le temps, mais en même temps se reconnaissant dans de grandes aires civilisationnelles historiques (hypothèse du "continuisme"). Ne dit-on pas que le XVI° siècle fut ibérique, le XVI° et XVIII° français, le XIX° anglo-germanique comme le XX° est américain ? mais qu’est-ce que cela veut dire ?
La quête de soi est cette autre idée qui est née dans le prolongement de l’idée que l’identité culturelle était finalement une sorte de "paradis perdu". Elle est particulièrement prégnante à notre époque, et peut-être est-ce une marque de notre modernité (XXIe siècle). Il fallait pour cela que les guerres s’éloignent dans des horizons de temps et d’espace lointains, que les grandes causes de luttes sociales s’effondrent, et que, du coup, les repères traditionnels disparaissant, les liens sociaux se distendent. Alors, l’identité du groupe ne pouvant plus se construire dans l’action ni dans la perspective d’un “être ensemble contre un autre-ennemi”, revient en mémoire un passé, une origine vers laquelle on se tourne avec nostalgie et que l’on désire récupérer. Cette origine se concrétise ici dans un territoire (la Corse), là dans une langue (la Corse, le Catalan, le Basque) ; ici dans la résurgence de coutumes anciennes, là dans une ethnie qui s’était mélangée et qu’il faut purifier (Serbie, Pays Basque) ; ou encore dans la relecture des valeurs religieuses (les intégrismes).
Dès lors, s’opère un mouvement de retour vers ces origines aussi bien de la part des individus que des groupes sociaux, avec une volonté plus ou moins affirmée (plus ou moins guerrière) de retrouver ce paradis perdu. Commence alors une quête du soi, au nom d’une recherche de l’authenticité : saisir son identité serait saisir l’authenticité de son être.
Pourquoi peut-on dire que penser l’identité culturelle en termes de "substrat naturel" et de "quête de soi" est un malentendu ? Il faut pour cela décrire la mécanique psychologique et sociale qui préside à la construction de l’identité, description qui repose à la fois sur la réflexion que la philosophie contemporaine a élaborée à propos de la notion de "sujet" , et sur l’apport des sciences humaines quant à la notion d’"identité".
Ce n’est qu’en percevant l’autre comme différent que peut naître la conscience identitaire. La perception de la différence de l’autre constitue d’abord la preuve de sa propre identité : “il est différent de moi, donc je suis différent de lui, donc j’existe”. Il faudrait corriger légèrement Descartes et lui faire dire : “Je pense différemment, donc je suis”. Mais Descartes était peut-être trop tourné vers la raison et l’esprit pour voir l’autre. La différence étant perçue, il se déclenche alors chez le sujet un double processus d’attirance et de rejet vis-à-vis de l’autre.
D’attirance, d’abord, car il y a une énigme à résoudre. On pourrait l’appeler l’énigme du Persan en pensant à Montesquieu : “comment peut-on être différent de moi ?” Car découvrir qu’il existe du différent de soi, c’est se découvrir incomplet, imparfait, inachevé. Et qui peut supporter sans émoi cette incomplétude, cette imperfection, cet inachèvement ? D’où cette force souterraine qui nous meut vers la compréhension de l’autre ; non pas au sens moral, de l’acceptation de l’autre, mais au sens étymologique de la saisie de l’autre, de sa maîtrise, qui peut aller jusqu’à son absorption, sa prédation comme on dit en éthologie. Nous ne pouvons échapper à cette fascination de l’autre, à ce désir (“inessentiel” dirait Lacan) d’un autre soi-même.
De rejet ensuite, car cette différence représente une menace pour le sujet. Cette différence ferait-elle que l’autre m’est supérieur ? qu’il serait plus parfait ? qu’il aurait davantage de raison d’être que moi ? C’est pourquoi la perception de la différence s’accompagne généralement d’un jugement négatif. Il y va de la survie du sujet. C’est comme s’il n’était pas supportable d’accepter que d’autres valeurs, d’autres normes, d’autres habitudes que les siennes propres soient meilleures, ou, tout simplement, existent. Lorsque ce jugement se durcit et se généralise, il devient ce que l’on appelle traditionnellement un stéréotype, un cliché, un préjugé. Ne méprisons donc pas les stéréotypes. Ils sont une nécessité, Ils constituent d’abord une protection, une arme de défense contre la menace que représente l’autre dans sa différence, et, de surcroît, ils nous servent à étudier les imaginaires des groupes sociaux.
Ces jugements négatifs ont une conséquence fâcheuse, car on voit pointer là l’essentialisation dont on parlait tout à l’heure : en jugeant l’autre négativement on protège son identité, on caricature celle de l’autre, et du même coup la sienne, et l’on se persuade que l’on a raison contre l’autre. C’est ainsi qu’au contact de l’étranger, on jugera celui-ci trop rationnel, froid ou agressif, persuadé que l’on est soi-même sensible, chaleureux, accueillant et respectueux de l’autre. Ou bien, à l’inverse, on jugera l’autre anarchique, extraverti, peu fiable, persuadé que l’on est soi-même rationnel, maître de soi, direct, franc, fiable [1]. Ainsi est-on amené à juger l’autre d’autant plus négativement que l’on est convaincu que nos normes de comportement et nos valeurs sont les seuls possibles.
On voit le paradoxe dans lequel se construit notre identité. Nous avons besoin de l’autre, de l’autre dans sa différence, pour prendre conscience de notre existence, mais en même temps nous nous en méfions, éprouvons le besoin soit de le rejeter, soit de le rendre semblable à nous pour éliminer cette différence. Mais avec le risque que si on le rend semblable à nous, du même coup on perd de notre conscience identitaire puisque celle-ci ne se conçoit que dans la différenciation, et si on le rejette, on n’a plus personne sur qui fonder notre différence. D’où ce jeu subtil de régulation qui s’instaure dans toutes nos sociétés (seraient-elles les plus primitives) entre acceptation ou rejet de l’autre, valorisation ou dévalorisation de l’autre, revendication de sa propre identité contre celle de l’autre. Il n’est donc pas simple d’être soi, car être soi passe par l’existence et la conquête de l’autre. “Je est un autre” disait Rimbaud. Il faudrait préciser : “Je est un autre moi-même semblable et différent”. L’identité se construit sur un principe d’altérité qui met en rapport, dans des jeux subtils d’attirance et de rejet, le même et l’autre, lesquels s’auto-identifient de façon dialectique. Et cela se passe de manière identique pour les groupes qui tantôt se réfugient autour d’eux-mêmes, dans un mouvement de préservation et de défense de soi (c’est la "force de clocher" des dialectologues), tantôt s’ouvrent aux influences extérieures, vont vers les autres ou les laissent venir à eux, les assimilent ou se laissent pénétrer par eux (la "force d’intercourse"). Lorsque ces mouvements se durcissent, ils engendrent des politiques "ségrégationnistes" ou au contraire "intégrationnistes", comme on le voit à travers l’histoire, et encore aujourd’hui en différentes parties du monde.
On comprend mieux maintenant le malentendu dont je parlais en commençant. L’idée qui veut que l’individu ou un groupe humain fonde son existence sur une pérennité, sur un substrat culturel stable qui serait le même depuis l’origine des temps, sur une "essence", ne peut tenir. L’histoire est faite, on l’a dit, de déplacements des groupes humains, de rencontres d’individus, de groupes, de populations, qui s’accompagnent de conflits, d’affrontements, dont l’issue est tantôt l’élimination de l’une des parties, tantôt l’intégration de l’une des parties dans l’autre ou l’assimilation de l’une par l’autre, mais toujours à travers des rapports de domination-sujétion (Max Weber). Et si l’une des parties réussit à imposer sa vision du monde à l’autre, il s’est quand même produit des entrecroisements d’ethnies, de religions, de pensées, d’us et coutumes, faisant que tout groupe culturel est plus ou moins composite. Si, cependant, il y a une identité collective, ce ne peut être que celle du partage et donc de la production d’un sens collectif, mais d’un partage mouvant, aux frontières floues, d’un partage dans lequel interviennent des influences multiples. C’est une illusion de croire que notre identité repose sur une entité unique, homogène, une essence qui constituerait notre substrat d’être. C’est une illusion au nom de laquelle, malheureusement, bien des exactions sont commises.
Quant à la "quête de soi", voilà une autre idée fausse qui est tout aussi dangereuse. Le "être soi", c’est d’abord se voir différent de l’autre, et s’il y a quête du sujet, c’est d’abord la quête de ne pas être l’autre. De même l’appartenance à un groupe, c’est d’abord la non-appartenance à un autre groupe, et la quête du groupe, en tant qu’entité collective, c’est également la quête du "non-autre". Dès lors, qu’est-ce que l’authenticité d’un individu ou d’un groupe ? Le retour à l’état de fœtus pour l’individu, d’origine de l’espèce pour le groupe ? “Il n’y a pas d’identité "naturelle" qui s’imposerait à nous par la force des choses. Il n’y a que des stratégies identitaires, rationnellement conduites par des acteurs identifiables. Nous ne sommes pas condamnés à demeurer prisonniers de tels sortilèges” (J.F. Bayart). Malheureusement, cette illusion —ce sortilège— est ce qui empêche d’atteindre l’identité plurielle des êtres et des groupes sociaux.
La construction identitaire passe nécessairement par le regard de l’autre, car nous avons du mal à nous voir nous-même et avons besoin d’un regard extérieur. Dès lors, cette construction est la résultante de son propre regard et du regard de l’autre, mus que nous sommes par le désir d’“être ce que n’est pas l’autre”. Ce qui nous fait dire que “l’identité est une somme de différences”, et la quête d’identité une quête de différenciation, une quête du non-autre. C’est à l’épreuve de la différence que l’on découvre son “quoi être”.
Cette rencontre de soi avec l’autre se réalise à travers les actions que les individus accomplissent en vivant en société, mais également à travers les jugements qu’ils portent sur le bien fondé de ces actions, de soi et des autres. Autrement dit, l’individu et les groupes se construisent leur identité autant à travers leurs actes que les représentations qu’ils s’en donnent. Ces représentations témoignent donc des imaginaires collectifs qui sont produits pas les individus vivant en société, et ces imaginaires témoignent à leur tour des valeurs qu’ils se donnent en partage, dans lesquelles ils se reconnaissent et qui constituent leur mémoire identitaire. Dès lors, si l’identité repose autant sur des imaginaires que sur des actes, on peut se demander quelle est la réalité de celle-ci ? est-elle une fiction, une illusion ? Et comment vivons-nous ce rapport entre les deux, rapport qui nous fait être à la fois "sujet" et "objet" ?
Il convient donc d’étudier ces imaginaires pour prendre la mesure des identités collectives, car ils représentent ce "au nom de quoi" celles-ci se construisent. Des imaginaires, il y en a de nombreux, et leur étude est un vaste chantier qui devrait être au centre des sciences humaines et sociales, dans les décennies à venir. Je n’en évoquerai que quelques-uns, m’arrêterai plus particulièrement sur l’un d’entre eux, l’imaginaire de la langue, et tenterai de suggérer ce que pourraient être certains des imaginaires de la latinité.
Il y a les imaginaires se rapportant à l’espace, témoignant de la façon dont les individus d’un groupe social se représentent leur territoire, s’y meuvent, le structurent en y déterminant des points de repère et s’y orientent. Dans quelle mesure, à l’inverse, l’extension du territoire, son relief, son climat influent sur les comportements et les représentations des individus y vivant. Il y a les imaginaires se rapportant au temps, témoignant de la façon dont les individus se représentent les rapports entre le passé, le présent et le futur, l’extension de chacun de ces moments. Il y a des peuples pour lesquels le temps est rationalisé de telle sorte que celui-ci est découpé en fonction d’activités précises. Il y en a d’autres qui le rationalisent autrement, ou disent qu’ils ne le rationalisent pas. Il y en a qui découpent le temps et d’autres qui le traversent. Et puis le temps, c’est aussi la place symbolique qu’occupent, dans une société, les âges et les générations. Il y a les imaginaires se rapportant au corps, témoignant de la façon dont les individus se représentent la place que celui-ci prend dans l’espace social. Comment les corps bougent ? Est-ce que les corps peuvent être en contact hors d’une situation d’intimité, comme dans certaines sociétés (Brésil), ou restent-ils à distance (USA) ? Est-ce que le corps est montrable dans sa nudité et quelles parties peuvent l’être ? Est-ce qu’il est soigné, entretenu et qu’est-ce qui fait qu’on le juge "propre" ou "sale", en relation avec les apparences (bijoux, vêtements) et les odeurs. Quels sont les tabous (gestuels) qui s’y attachent. Il y a aussi les imaginaires se rapportant aux relations sociales, témoignant de la façon dont les individus se représentent ce que doivent être leurs comportements en société et qui engendrent ce que l’on appelle des “rituels sociaux”. Rituels de salutations, d’excuses et de politesse, mais aussi les rituels d’injures et d’insultes, et enfin d’humour, d’ironie, de dérision (quand, avec qui, sur quoi peut-on faire de l’humour ?). Est-ce que toutes les catégories sociales (femmes, enfants, vieillards, etc.) ont le même droit à la parole, et est-ce qu’elles peuvent l’exercer de la même façon ? Mais ces imaginaires concernent également les comportements et le rapport que, dans une société, les individus ont vis-à-vis de la loi. Deux communautés peuvent avoir un droit écrit (souvent de même inspiration juridique), et pourtant l’une d’entre elles se comportera comme si elle relevait du droit coutumier (tout se négocie, à tout moment), tandis que l’autre respectera à la lettre le droit écrit. Cela permet de comprendre que se produisent des incompréhensions radicales entre les membres de ces deux communautés, notamment en ce qui concerne le sens donné à l’engagement de la parole. Il y a également les imaginaires se rapportant au lignage, c’est-à-dire la façon dont les individus se représentent leurs héritages historiques, et qui témoignent de la valeur symbolique qu’ils attribuent à leurs filiations. Une filiation de “droit du sang” qui instaurerait des sociétés fondées sur la "ségrégation", c’est-à-dire dans lesquelles l’autre est accepté dans son appartenance identitaire, à condition que celle-ci n’excède pas le groupe qui en constitue l’origine. D’où une organisation sociale en groupes, clubs, voire ghettos, et en quotas de représentation sociale (âge, sexe, ethnie, etc.) dans les institutions. Une filiation de “droit du sol” qui instaurerait des sociétés fondées sur l’"intégration", c’est-à-dire des sociétés dans lesquelles l’autre doit être re-identifié selon les valeurs de la cité (la République) ou du sol (la Nation). D’où une organisation sociale centralisée autour de "machines intégratives" comme le système éducatif, l’armée, les loisirs, etc. [2]. Cela laisse à penser que la vision de l’étranger n’est pas la même selon que l’on a été éduqué dans l’un ou l’autre de ces types de société [3].
Il y a, enfin, les imaginaires se rapportant à la langu e , témoignant de la façon dont les individus se voient eux-mêmes en tant qu’appartenant à une même communauté linguistique. Cette représentation est assez largement partagée dans différentes cultures. Elle dit que les individus s’identifient à une collectivité unique, grâce au miroir d’une langue commune que chacun tendrait à l’autre et dans laquelle tous se reconnaîtraient. C’est une idée qui remonte au temps où les langues commencent à être codifiées sous forme de dictionnaires et surtout de grammaires. En Europe, au Moyen âge, commencent à fleurir des grammaires (1492 est une année marquée par la découverte de l’Amérique, mais aussi par la publication de la première grammaire de la langue espagnole de Juan Antonio de Nebrija instituant le castillan : langue du peuple espagnol) comme tentative d’unifier des peuples dont les composantes régionales et féodales sont en guerre entre elles. Et plus tard, au XIXe siècle, on sait que la formule “une langue, un peuple, une nation” a contribué à la délimitation de territoires nationaux et, en même temps, au déclenchement de conflits pour la défense ou l’appropriation de ces territoires, dont l’enjeu était la création d’une "conscience nationale". Cette idée a été défendue avec plus ou moins de vigueur par les nations, selon qu’elles ont réussi à intégrer et homogénéiser les différences et les spécificités linguistiques locales et régionales (comme en France), où qu’elles se sont heurtées à une résistance, créant une situation linguistique fragmentée (comme en Espagne, ou en Grande-Bretagne).
Cet imaginaire de l’identité qui s’attache à la langue d’une communauté repose sur un discours : le discours de la "filiation". La notion de filiation nous dit que la langue se construit, mais surtout perdure, à travers le temps, ce qui fait que chacun des membres d’une communauté linguistique est comptable de l’héritage qu’il reçoit du passé, établissant ainsi un lien de solidarité entre le présent et le passé. C’est ainsi que s’est construite la symbolique du "génie" d’un peuple : nous serions tous les dépositaires d’un don qui nous serait transmis de façon naturelle : la Langue. Et c’est pourquoi l’on continue à dire que l’on parle ici la langue de Molière, là la langue de Shakespeare, là encore la langue de Goethe, Dante, Cervantès ou Camoens, alors qu’à l’évidence ce sont d’autres langues que nous parlons.
Il est clair que la langue est nécessaire à la constitution d’une identité collective, qu’elle garantit la cohésion sociale d’une communauté, qu’elle en constitue d’autant plus le ciment qu’elle s’affiche. Elle est le lieu par excellence de l’intégration sociale, de l’acculturation linguistique, où se forge la symbolique identitaire. Il est également clair que la langue nous rend comptables du passé, crée une solidarité avec celui-ci, fait que notre identité est pétrie d’histoire et que, de ce fait, nous avons toujours quelque chose à voir avec notre propre filiation aussi lointaine fût-elle.
Pourtant, on peut se demander si c’est la langue qui a un rôle identitaire. Car la langue n’est pas le tout du langage. On pourrait même dire qu’elle n’est rien sans le discours, c’est-à-dire sans ce qui la met en œuvre, ce qui régule son usage et qui dépend par conséquent de l’identité de ses utilisateurs. Contre une idée bien répandue, il faut dissocier langue et culture, et associer discours et culture. Si langue et culture coïncidaient, les cultures française, québécoise, belge, suisse, voire africaine, maghrébine (à une certaine époque) seraient identiques, sous prétexte qu’il y a une communauté linguistique. Et il en serait de même pour les cultures brésiliennes et portugaise d’une part, et pour les différentes cultures des pays de langue espagnole en Amérique et en Europe. Or, est-on sûr de parfaitement se comprendre malgré l’existence d’une langue commune ? Cela veut dire que c’est le discours qui témoigne des spécificités culturelles. Pour le dire autrement, ce ne sont pas tant les mots dans leur morphologie ni les règles de syntaxe qui sont porteurs de culturel, mais les manières de parler de chaque communauté, les façons d’employer les mots, les manières de raisonner, de raconter, d’argumenter pour blaguer, pour expliquer, pour persuader, pour séduire qui le sont. Il faut distinguer "la pensée en français, en espagnol ou en portugais" de "la pensée française, espagnole, argentine, mexicaine, portugaise ou brésilienne". On peut exprimer une forme de pensée construite dans sa langue d’origine à travers une autre langue, même si celle-ci a, en retour, quelque influence sur cette pensée. A l’inverse, une langue peut véhiculer des formes de pensée différentes. Tous les écrivains qui se sont exprimés directement dans une langue qui n’est pas leur langue maternelle en sont la preuve vivante. C’est que la pensée s’informe dans du discours, et le discours, c’est la langue à laquelle s’ajoute la spécificité des procédés de sa mise en œuvre, et cette mise en scène dépend des habitudes culturelles du groupe auquel appartient celui qui parle ou écrit. La grande question étant : est-ce qu’on change de culture quand on change de langue ? Et que se passe-t-il exactement lorsque sur un même territoire coexistent plusieurs communautés linguistiques (ce qui est bien plus répandu qu’on ne le dit) ? Qu’est-ce qui domine, des "communautés de discours" avec des langues différentes ou une "communauté de langue" avec des discours différents ?
Il faut reconnaître cependant que les choses ne sont pas toujours si simples. Car dans certaines circonstances socio-historiques, la langue joue un rôle de représentant d’une identité ethnique, sociale ou nationale. Cela se produit chaque fois qu’une communauté se sent menacée (comme au Québec), ou veut reprendre une identité perdue (comme dans les pays ou régions qui ont connu une colonisation culturelle ou politique). En tout cas, cela nous incite à reconnaître qu’aucune langue, en soi, n’a vocation à l’universalité. D’ailleurs, on le sait, les langues ne disparaissent pas à cause d’une faiblesse inhérente à leur système, mais pour des raisons politiques et économiques, de par la volonté des Etats qui cherchent à étendre leur hégémonie (imposition) ou à préserver leur intégrité (défense).
Il ne s’agit pour moi de définir la culture latine, je n’aurais pas cette prétention. D’ailleurs, peut-on dire qu’il existe une culture latine ? Je suis le premier à en voir la diversité : les pays latins d’Europe sont différents de ceux d’Amérique latine, et chacun d’eux a ses propres caractéristiques. Mais en même temps, on peut supposer que quelque chose comme des fils d’Ariane relient ces pays de par une histoire qui les a mis souvent en contact. Dès lors, on est fondé à chercher ce que l’écrivain antillais E. Glissant, appelle des “traces” d’une ressemblance culturelle. Ce sont ces traces que je cherche à repérer et dont je livre ici quelques-unes d’entre elles.
Des traces dans la rationalité. Une rationalité dans laquelle le fantastique (l’insolite) fait constamment irruption. Ce n’est pas à proprement parler la transgression du réel, comme dans le monde anglo-américain, mais sa subversion permanente. La transgression, c’est aller à l’encontre de la loi, la subversion sa remise en cause. Une rationalité dans laquelle le raisonnement par paradoxe n’est pas considéré comme un cas particulier et donc n’a pas besoin d’être annoncé ou affiché. Il est parfaitement assumé : l’un et son contraire peuvent coexister sans problème
Des traces dans les figures de héros. Dans la fiction latine, les héros ne sont jamais complètement blancs ou noirs, jamais complètement bons ou mauvais, maîtres de soi ou possédés par des forces démoniaques. Au contraire, ils sont toujours tout cela à la fois : blancs et noirs, bons et mauvais, maîtres de soi et possédés par leur destinée. Leur destinée, ce n’est pas tant des forces démoniaques que le hasard, la magie, un au-delà peuplé de pleins d’autres, ceux d’ailleurs, ceux du passé, les morts, “Y en nosotros nuestros muertos, pa que nadie quede atrás”, dit une milonga ; un hasard avec lequel il faut compter et contre lequel il faut lutter. Et puis aussi, ce héros malin, espiègle, astucieux, débrouillard, comme on le trouve dans la figure du “malandro” au Brésil, de l’enfant impertinent (Mafalda) dans lequel se reconnaissent beaucoup des pays de langue espagnole.
Des traces dans le temps. Un temps qui ne fait pas se succéder passé, présent et futur, mais les fait coexister : “une condensation du passé et du présent” nous dit J. Cortazar [4], sans futur, ou plus exactement, dans lequel le futur est tantôt inclus, car n’est pas envisagée la relation entre les actes et leur conséquence. “Pourquoi se demander ce qui arrivera demain, si l’on est bien maintenant ?” demande un Brésilien.
Des traces dans les sentiments. Les sentiments déborderaient-ils la raison ? Il semble qu’un sentimentalisme exalté fasse se confondre parfois "émotions" et "sentiments", fasse se confondre ce qui est sous l’empire de la pulsion irrationnelle, ce que sont les valeurs de croyance créées par le groupe et ce qu’est la raison qui les justifie. Voyez les modes de raisonnement, les passions qui guident les opinions publiques, et qui expliquent que bien souvent le théâtre politique se joue sur le mode de la Commedia del Arte.
Des traces encore dans l’expression littéraire et artistique, laquelle est marquée par le métissage et le baroque. Le métissage des corps et des filiations, et donc, du même coup, le métissage de la pensée. Le baroque dans la représentation du monde et donc le baroque dans la vision de l’autre et de soi-même.
On peut dire que du point de vue culturel, le monde latin vit sur le mode de l’hybridation. Si l’Europe elle-même s’est construite dans l’hybridation (grandes migrations), elle n’a eu de cesse de s’imaginer homogène et a fini par construire cette homogénéité autour d’imaginaires de territoires, de peuples, de nations (d’où les problèmes que connaît maintenant l’Europe avec d’un côté une souveraineté supranationale, de l’autre les revendications régionales). L’Amérique latine, elle, s’est construite dans une hybridation des différents peuples venus d’Europe avec des peuples indigènes, et en plus l’a assumée, revendiquée, entretenue, en en faisant sa raison d’être. Son identité s’est construite dans un imaginaire et une mémoire du "métissage", pas seulement celui des corps mais aussi celui de la pensée et des valeurs qui définissent un mode de vie, un “être ensemble”. En cela, les sociétés latino-américaines sont différentes des sociétés anglo-américaines qui sont plutôt ségrégationnistes de par l’imaginaire de filiation du sang, et la société française qui est intégrative de par l’imaginaire de filiation laïque et républicaine. Mais pour qu’il y ait hybridation encore faut-il que les cultures d’origine soient "miscibles". En Amérique latine, elles le furent grâce à quelque chose qu’on peut appeler “le goût du baroque” ou de la “métamorphose” . Un reste du quichottisme, suggère l’écrivain mexicain, Carlos Fuentes, comme coexistence de réalité et de fiction, de grandeur chevaleresque et de réalisme populaire, d’auteur de roman et de personnages de roman, de mélange des genres (réalisme, fantastique, merveilleux, épique, picaresque, pastoral), de vision du doute et de l’incertitude dans une Espagne de la Contre-réforme qui se voulait sûre d’elle, menant sans état d’âme un combat de défense de la foi catholique.
C’est au nom de ces imaginaires que se créent divers communautarismes : d’états-nations, de territoires, de groupes, d’ethnies, de doctrines laïques ou religieuses. Mais le communautarisme renferme des pièges : celui d’enfermement des individus dans des catégories, dans des essences communautaires, qui ne les fait agir et penser qu’en fonction des étiquettes qu’ils portent sur le front ; celui de double exclusion, de soi vis-à-vis des autres et des autres vis-à-vis de soi, qui parfois les fait déclamer des slogans de “mort à l’autre” ; celui d’autosatisfaction qui consiste à se complaire dans sa propre revendication et à ne plus voir comment est le reste du monde, revendications qui ne peuvent qu’exacerber les tensions entre communautés opposées (Israël/Palestine). C’est là l’origine des conflits pour le marquage d’une différence et l’appropriation d’un territoire, comme on le voit dans les Balkans, au Moyen-Orient ou en Espagne. A l’inverse, l’imaginaire de la puissance, de l’efficace, voire de la justice (étendre l’égalité au plus grand nombre), conduit à l’extension, l’expansion et le rassemblement du plus grand nombre (force d’intercourse), en suivant un processus d’homogénéisation uniformisante.
Dès lors, devant ces tendances au communautarisme étroit, il est préférable de défendre l’idée qu’une société se compose de multiples communautés qui s’entrecroisent sur un même territoire, ou se reconnaissent à distance (les diasporas). Toutes nos sociétés, y compris les européennes, sont composites et tendent à le devenir de plus en plus : mouvements complexes d’immigrations et d’intégrations d’un côté, multiplication du communautarisme (sectes, associations) de l’autre. Car les communautés se construisent autour de valeurs symboliques qui les inscrivent dans des filiations historiques diverses. Dès lors, on peut se poser la question, sans oser apporter une réponse : quelles différences y a-t-il entre les Français du Nord et les Belges, les Alsaciens et les Allemands, les Corses et les Français du continent, les Catalans et les Espagnols, les Basques et les Espagnols. Les identités se construisent davantage autour des communautés de discours que des communautés linguistiques. Il faut défendre l’idée que l’identité culturelle est aussi complexe que la mémoire sur laquelle elle s’appuie. L’histoire montre qu’il peut y avoir effondrement de certaines de ces grandes mémoires organisatrices (les idéologies du XVIII°, du XIX° et du XX°), et résurgence d’autres (les régionalismes et communautarismes d’après colonisation ou dictature) apparitions nouvelles par déplacements (sectes). Il faut défendre l’idée, enfin, que l’identité culturelle est le résultat complexe de la combinaison : entre le "continuisme" des cultures dans l’histoire et le "différencialisme" du fait des rencontres, des conflits et des ruptures ; entre la "verticalité" des valeurs qui tendent à effacer les différences culturelles sous des symboles universels, et l’"horizontalité" des rapports de domination/soumission des groupes entre eux ; entre la tendance à l’"hybridation" des formes de vie, de pensée et de création, et la tendance à l’"homogénéisation" des représentations à des fins de survie identitaire. “C’est au cœur de la métamorphose et de la précarité que se loge la véritable continuité des choses” dit l’anthropologue S.Gruzinski [5]
Alors, la mondialisation et l’humanisme dans tout cela ? Il ne faut pas se faire d’illusion. Les analyses des différentes disciplines des sciences humaines et sociales tendent à montrer que la mondialisation est une énorme machine à fabrique du profit. Il ne reste plus un seul secteur de la vie sociale qui échappe à la logique du profit : le sport devenu un spectacle qui brasse des masses considérables d’argent, l’art sélectionné en fonction de la valeur marchande des œuvres, les médias avec la course à l’audimat qui garantit leur survie financière, la santé avec la bataille des laboratoires de médicaments, et même les enfants, cibles de toutes les publicités pour le vestimentaire (les marques) et l’alimentation. Il ne faut pas oublier cependant que cette logique du profit a sa raison d’être, et que sans elle il n’y aurait peut-être plus de littérature populaire, de cinéma populaire, et en tout cas pas de développement et donc pas de possible répartition des richesses, même si cette répartition n’est pas équitable.
Que faire ? Entrer en résistance : “le sujet doit entrer en résistance” dit le sociologue A. Touraine. Il y a plusieurs façons d’entrer en résistance. On peut manifester, comme à Seattle ou lors du sommet pour l’environnement qui eut lieu à Rio. Mais il en est une autre qui est de notre responsabilité à nous, enseignants : former, éduquer les esprits pour donner des armes qui permettent d’analyser les événements sociaux et rendent les générations à venir plus conscientes des enjeux de la vie sociale. L’école devrait être le lieu d’inculcation de cette complexité identitaire, car il ne faut pas trop compter sur les médias qui fonctionnent, eux, par caricature, par catégories simplifiées. Un lieu où l’on prendrait conscience de la pluralité identitaire, des rapports de force et du jeu de régulation sociale dans lesquels elle se construit. L’École devrait être un lieu de découverte de "l’autre pour soi-l’autre", d’apprentissage que "l’être-moi" se fait à travers "l’être-autre", et l’enseignement des langues étrangères en est un des piliers. Evidemment, tout système d’apprentissage a un coût. La question est de savoir si les gouvernements et les Etats qui en ont la responsabilité veulent l’assumer. C’est pourquoi cette affaire est une affaire éminemment politique. Et c’est pourquoi nous, citoyens, avons le devoir d’en exiger les moyens.
Entrer en résistance donc pour revendiquer la différence et, si besoin est, désobéir aux diktats de l’homogénéisation, pour construire des identités différenciées, voilà peut-être le nouvel humanisme. Nouvel humanisme ? Peut-être est-il beaucoup plus ancien qu’on ne le croit si l’on se réfère à la Bible. Tout aurait commencé avec le péché originel —je veux dire avec le récit du péché originel—. En croquant la pomme, l’être humain est passé de l’état de nature à l’état de culture. Avant cet acte, l’homme et la femme n’avaient pas de visage, n’avaient peut-être pas de conscience, ne se posaient pas le problème de leur identité, ne se demandaient pas “qui suis-je ?”. Après cet acte, ils prenaient un visage propre puisqu’ils n’étaient plus à l’image de Dieu (être à l’image d’un autre, c’est ne pas s’appartenir). Après cet acte, ils se sont demandé, non seulement “qui suis-je ?”, mais “que suis-je dans le monde ?”. Après cet acte, enfin, ils existaient pétris de passion et de raison, impulsés par du désir. Et tout cela au prix d’une désobéissance, d’une transgression, du refus d’être semblable, du vouloir être différent. Enfin, observons que cet acte de transgression, ce péché originel —du moins dans l’imaginaire courant— fut commis par l’homme, mais poussé par la femme. N’en concluez pas trop vite que c’est elle la coupable. Car sans elle, point de désobéissance, point de passage à l’état de culture, point d’identité. C’est à elle, la femme, que l’humanité doit d’exister pour elle-même, libre de sa propre destinée.