On peut dire que Patrick est tombé tout petit dans le bain de l’hispanité.
Né à l’orée de la seconde Guerre mondiale, il passe la frontière espagnole à Irun, enfoui dans un couffin qui était placé sur la plage arrière d’une Simca 5, en compagnie de sa mère, sa sœur et son frère aînés. Son père, qui avait créé un réseau de renseignement en France (le réseau Alibi) était poursuivi par la Gestapo et il avait jugé prudent de mettre sa famille à l’abri en Espagne.
Après un bref passage par Saint-Sébastien, le voilà installé à Madrid dans une Maison de couture qui servait de couverture aux activités de renseignement de son père en Espagne. De cette époque, alors qu’il ne parlait que par bribes, il se souvient qu’il chantait « El pajarito carpintero ».
De retour en France, à la fin de la guerre, sa famille s’installe dans le Sud-Ouest de la France (Saint-Jean-de-Luz, Guétary et Pau où il est né).
A 10 ans, il monte à Paris (comme on disait à l’époque) pour faire sa scolarité, pensionnaire de la 6° à la Terminale. Et c’est au lycée de Saint-Germain-en-Laye où il a passé la plus grande partie de sa scolarité, qu’il tombe amoureux, à 12 ans, de sa prof d’espagnol, jolie femme séduisante, que tout le monde appelée Paquita. Il ne peut s’empêcher de glisser dans la poche de sa blouse blanche un cœur en carton percé d’une flèche, avec ces mots : « pour la vie ». La Paquita s’en étant aperçue, et ayant deviné qui était l’auteur de ce méfait, le confondit en public, ce qui le calma quelque peu mais ne l’empêcha pas de vouer une grande passion pour l’espagnol.
Parallèlement, il passait ses vacances à Jaca, en Aragon, chez sa sœur, qui y avait une maison. C’est là qu’il rencontra, en fréquentant les fêtes des villages alentour, celle qui sera sa femme, María Victoria, avec qui il aura deux filles, Isabelle et Anne, qui seront chouchoutées par leur famille espagnole.
Puis ce sont les études supérieures à la Sorbonne, évidemment en espagnol. Période davantage consacrée à des activités culturelles qu’à l’étude. D’ailleurs, il anime, avec d’autres camarades le Centre culturel de l’Institut hispanique où il rencontre le guitariste Pedro Soler.
En 69, après le bouleversement festif de 68, il est recruté par l’université de Lyon pour y enseigner la linguistique hispanique tout en continuant à demeurer à Paris où il prépare son doctorat d’État sous le direction de Bernard Pottier, autre grand hispaniste, auquel il vouera une reconnaissance sans bornes. C’est dans le cadre de ce séminaire qu’il fait la connaissance d’un chilien, Gerardo Alvarez, avec qui il fait amitié.
En 1973, Gerardo Alvarez, qui était revenu au Chili, l’invite à venir faire un séminaire à l’université de Concepción. Ce devait être dans la deuxième quinzaine de septembre. Le 11 septembre, un monstre froid et implacable fait bombarder le Palais présidentiel de La Moneda. Le Président Salvador Allende y sacrifie sa vie au nom de la liberté, et l’invitation de Patrick tombe à l’eau.
C’est en 1974 qu’il rencontre, par hasard, Paco dans le bar d’une station de ski, à Avoriaz. Le voyant accoudé au comptoir, mais ne sachant s’il s’agissait de lui ou de son frère qui lui ressemble, Patrick l’aborde en lui demandant : « Êtes-vous le frère de votre frère ou le frère de votre frère ? ». Le jeu eu l’air de plaire à l’interpellé qui lui répondit : « Je suis le frère de mon frère ». Ainsi commença leur amitié, et d’abord cinq années de folie en compagnie de son amie d’alors, Françoise, dite la Paquita (la seconde Paquita) : rédaction de la thèse de doctorat durant la journée, rencontre avec la bande à Paco à partir du soir et jusques à des heures indues du petit matin : jeu de cartes (le Mus), musique, poésie, chansons, manifestations et actions militantes contre la dictature franquiste —dont une grande soirée dans le Grand Amphithéâtre de la Sorbonne qui fit date—. Dans cette mouvance, il fait la connaissance du Cuarteto Cedrón (el Tata, César, Miguel, Carlos) qui suivait les tournées de Paco.
Durant cette même période, en 1975, il fait une tournée de conférences en Espagne et arrive à Barcelone le jour de l’annonce de la mort de Franco : grande explosion de joie sur les Ramblas avec débouché de bouteilles de champagne à qui mieux mieux.
En 77, il soutient sa thèse de doctorat d’État à la Sorbonne, et à la sortie de la salle Louis Liard, il est abordé par un inconnu qui se présente comme le responsable pédagogique de l’ambassade de France au Mexique et l’invite à animer un séminaire à Morelia (Mexique). Ce sera le début de ses aventures latino-américaines.
Mais avant ça, le soir de la soutenance fut une véritable fête dans le Centre culturel de la rue Mouffetard, la mère de Paco prépara un couscous pour une soixantaine de personnes, Paco chanta et accompagna la chanteuse vénézuélienne Soledad Bravo qui était de passage à Paris, et le professeur Bernard Pottier joua des castagnettes.
Arriva 1981, avec la gauche de Mitterrand au pouvoir. L’événement fut fêté comme il se doit au Panthéon et à la Bastille. Mais pour Patrick, c’est à partir de là qu’il fit le Globe Trotter à travers les terres latino-américaines : Colombie, Mexique, Venezuela, Uruguay, Argentine, Chili, Saint-Domingue, Pérou, Cuba, et la découverte du Brésil du nord au sud, pays chéri s’il en fut.
Au cours de ses pérégrinations, il rencontre en Argentine Adriana, autre amour fou (il n’eut que des amours fous, auxquels il reste fidèle) qui vient en France de son propre chef, et avec laquelle, après une seconde rencontre, il aura deux garçons, Alex et Bastien, petits franco-argentins. Deux filles, deux garçons, la totale, quoi ! Vingt ans, durant lesquels, il ne voit plus la bande à Paco, d’autant que celui-ci est allé vivre à Barcelone.
Et puis, la vie apportant son lot de circonstances, le voilà qui reprend contact avec Roger, le frère de Paco qui, lui, vit toujours à Montparnasse, et avec lequel il renoue une profonde amitié. Et de fil en aiguille, ce sont les retrouvailles avec Paco, César, et, comme dit une chanson de Jacques Brel : « les voilà ici, ce soir ».
Texte lu par Guy Lochard, lors de la soirée du 14 juin en hommage à Patrick Charaudeau, à la Maison de l’Amérique Latine.